Vendredi 15 et samedi 16 mars 1991
section cyclisme ASH Le Haillan

Le Haillan/Colindres à vélo

Gestation du projet

Il y a longtemps maintenant j’étais secrétaire de la section Cyclisme de l’ASH (1). Au sein de cette dernière cohabitaient deux pratiques cyclistes. Il y avait les cyclo-sportifs que l’on peut situer entre les pratiquants des courses cyclistes purs et durs et les cyclotouristes. D’autres adhérents étaient dans la démarche «sport pour tous» bien plus paisible ce qui explique l’adhésion de la section à la Fédération française de cyclotourisme. Mais souvent tous les pratiquants se retrouvaient lors de sorties communes avec une note épicurienne qui reste dans les mémoires de ceux qui y ont participé.

Dans le cadre du petit groupe de cyclo-sportifs outre la sortie du dimanche matin nous nous inscrivions aux brevets et courses Ufolep. Certaines grandes sorties s’effectuaient en boucle comme celle que nous nommions «le tour de l’Estuaire» qui partait de la gare de Saint-Médard vers la côte dite « sauvage » amenant à Royan et après la prise du bac le retour par le Médoc, à l’arrivée cela devait faire dans les 230 kilomètres. Pour ceux qui recherchaient les grandes distances cet aller-retour était quasiment "gratuit" mis à part le repas de midi. Il y avait aussi des courses chronométrées type l’Aliénor. J’ai même participé à des «raids» de plusieurs jours comme Bordeaux-Sète (trois fois) et Bordeaux-Apt (avec notamment l’escalade du mont Ventoux) trois fois également.

La problématique de ces dernières sorties sur plusieurs jours était bien entendu surtout leur financement et d'avoir la disponibilité de plusieurs jours pour y participer. J’appris un jour que les 16 et 17 mars 1991 une importante délégation de Haillanais se rendrait à Colindres en Espagne pour les cérémonies de jumelage. J'avais hébergé un couple d'Espagnol lors des premières manifestations au Haillan le 27 octobre 1990. Nous savions que les organisateurs étaient en recherche d’animations. Lors de notre assemblée générale cyclo je me risque donc à poser la question :

Photo ci-contre, vue de Colindres glissée sur une grande carte-support qui m'a été offerte par les organisateurs espagnols du jumelage. Cliquer sur l'image pour une meilleure définition

«Pourquoi ne pas organiser un raid le Haillan/Colindres à vélo dans le cadre du jumelage ? Cela offrirait au comité une animation originale et nous donnerait l’opportunité d’une belle sortie cyclo» (à moindre coût, il faut le reconnaître). Le problème était que vu la date nous étions seulement trois membres entraînés pour les longs trajets. Beaucoup de cyclos arrêtaient de s'entraïner en hiver reprenaient au printemps. Dans le but de faire participer tous les membres du club qui le souhaitaient et d’étoffer le groupe de cyclistes nous avons proposé que certains participeraient symboliquement à tour de rôle sous forme de relais. C’est ainsi que nous avons pris notre décision. L’équipe d’animation du jumelage avait apprécié et donc validé également l’initiative. Au niveau de la symbolique rallier ainsi les deux villes cadrait parfaitement. La section a donc obtenu une aide financière qui nous a permis notamment de louer un grand fourgon avec l’avant style minibus qui nous fut très utile.

La «caravane» d’accompagnement sera formée d’environ quatre/cinq véhicules : le fourgon loué par le club et quelques voitures particulières. Il s’agissait notamment d’assurer la relève de ceux qui participaient en fractionné et d’éventuellement assister les trois qui effectuaient la totalité du trajet.

Pour les cyclo-sportifs nous ne fûmes donc finalement que trois. Il fallait avoir déjà bien "roulé" pour être au niveau et certains n’étaient pas encore prêts pour les grands raids qui se déroulaient bien plus tard dans la saison où alors n’étaient simplement pas libres pour ces dates. Ma pratique quotidienne trajet/travail parc Saint-Christine cours Aristide-Briand à Bordeaux même en hiver me permettait de rester opérationnel toute l'année. Nos conjoint.e.s seraient transporté.e.s par les bus «officiels» de la manifestation. Donc d’autres membres de la section pratiquant la démarche «sport pour tous» se sont inscrits pour la "formule" en relai. Cela leur permettrait de vivre l’ambiance de ces grandes sorties et finalement constituerait pour nous trois un soutien moral.

J’ai choisi d'utiliser des prénoms fictifs pour la plupart des protagonistes. Ma mémoire après tant d'années ne garantit pas l’oubli, voire l’erreur de plus je ne souhaite pas trop personnaliser des faits sans l’aval des personnes concernées. Comme pour le texte précédent sur "le conflit ASH" il sera toujours possible de modifier ultérieurement si certains le souhaitent. Je ne cherche qu’à évoquer quelques souvenirs, anecdotes, qui me paraissent intéressants, voire amusants. Ombre à ce tableau certains des protagonistes sont hélas décédés. Leur souvenir s'est ravivé dans ma mémoire, en pensant à eux cette rédaction fut souvent teintée également d'une profonde émotion. De bons souvenirs mais aussi de la tristesse, ainsi va la vie, en plus, on va le lire, retour mémoriel (horreur !) sur des anecdotes "politiques", mais peut-être malgré tout qu'il en restera une trace dans le futur. (2)

En tant que secrétaire de la section j’ai dû contacter le Consulat d’Espagne de Bordeaux pour signaler notre projet. A ma grande surprise il me fut demandé en retour de préciser les dates, itinéraires le plus fidèlement possible. On comprendra tous plus tard le pourquoi de cette demande…

1.J’ai déjà évoqué la création de cette section dans un texte précédent qui raconte ce que notre histoire locale a nommé "le conflit de l’ASH" qui se déroula durant les années 80. » CLIQUER ICI

2.. Pour exemple de ces problèmes de conservation de textes l’association historique et généalogiste du Haillan, relativement à mon texte sur 'l'affaire ASH", après un premier contact positif, suite à l’intervention d’un membre «ne voulant pas de sujets "politiques" pour l'association» a finalement refusé d’utiliser mon premier document. Il reste pourtant à ma connaissance la seule évocation écrite un peu détaillée de ces événements qui ont marqué la vie du Haillan. (Cachons ce passé que certains anciens protagonistes ne sauraient revoir...)

Vendredi 15 mars 1991, le Haillan/Hendaye / "Rien que du plat"

Il fait encore nuit lorsque nous nous regroupons rue de los Heros, au niveau de la bibliothèque. En plus une bruine tombe, espérons que cela ne va pas durer. Georges Ricart et quelques élus avaient tenu à être là pour nous encourager, c’était sympa… Gag, à peine sortis du Haillan je crève ! Cela sera la seule fois, juste au bout de quelques centaines de mètres. Dans la pénombre pas facile de réparer et il fallait prendre le large avant la ruée matinale (déjà) des autos sur le Haillan d’où quelques jurons que je me suis permis de prononcer à haute et intelligible voix. Christian, tel un pro du tour de France surgit alors au volant du fourgon. Il saute sur le sol une roue de vélo à la main et en quelques secondes je peux repartir.

Finalement cette première pourtant très longue étape ne fut pas trop dure. D’abord la météo est devenue clémente dès notre sortie du Haillan, plus de bruine, pas de vent défavorable du début à la fin, pas trop de côtes difficiles, tout s’est bien passé. Ce n'est pas fréquent lors des longues sorties, nous avons eu cette chance. Les conducteurs des voitures qui nous accompagnaient eux devaient sans cesse se garer, attendre notre passage et repartir un peu plus tard pour nous redoubler. Le trafic routier leur imposait cette gymnastique qui devait être lassante à force. Nous arrivons en soirée à Hendaye certes fatigués mais donc sans problème majeur.

En revanche en soirée l’hôtel que j’avais réservé par téléphone était plus que limite. Je me rappelle ce filet d’eau sortant de mon robinet dans un grondement sinistre et qui se teinte de rouille… La douche heureusement fonctionnait mieux. En revanche le repas qui nous fut servi était délicieux et rattrapa donc en partie la qualité de l’hébergement.

Samedi 16 mars 1991, Hendaye/Colindres /
"Interceptés" par la Guardia civil

Photo ci-conttre, programme des manifestations espagnoles qui nous fut remis lors de notre arrivée à Colindres

Toujours au petit matin nous franchissons la frontière et reprenons notre périple. Tous les trois suivis par quelques relayeurs et nos voitures d’accompagnement empruntons à moment donné une route magnifique le long de la mer, il y avait d’immenses pins, la brise, le soleil qui se levait, c’était super. Mais plus tard le relief devient plus rude, mais nous en avons vu d’autres. Soudain au loin devant notre groupe je distingue un gyrophare : "bof c’est comme en France il y a toujours des accidents hélas…". Quelques instants plus tard Julien remonte à côté de moi, me tape sur l’épaule, il lève ensuite sa main devant moi le pouce tendu en arrière. Je me retourne donc et je découvre un autre gyrophare, une grosse berline bicolore blanc et vert foncé, des « casquettes plates » à l’intérieur… m…. la Guardia civil ! Une voiture devant, une autre derrière, nous espérons tous qu'ils ne sont pas là pour nous. Cette police, même avec de nouveaux uniformes, était porteuse d'une symbolique lourde dans l'esprit de certains, la fin du Franquisme n’était pas loin. « Bon, ayons l’air de rien on va bientôt quitter cette route pour en prendre une plus petite, normalement ils vont continuer tout droit… ou alors ils sont là pour nous… »

Vous vous doutez de la suite, la première voiture prend précisément la «petite route» et l’autre continue de nous suivre… Ayant eu l’imprudence au passage de la frontière de prononcer quelques mots approximatifs dans la langue de Cervantès pour amuser la galerie, en plus en tant que secrétaire de la section, je fus désigné d’office pour aller parlementer avec ces policiers. «Merci, c’est sympa…» Je me détache du groupe vers la première voiture, leur fait signe, ils se garent je m’arrête. Un policier galonné descend, me salue et là commence un dialogue dans une langue bizarre. Je mélangeais mes souvenirs de collège, le patois bergeracois et prononçait de nombreux mots dont j'ignorais l'équivalent en espagnol en français en roulant les «r» ! Le plus incroyable est que nous sommes arrivés à nous comprendre. Suite aux informations du consulat d’Espagne de Bordeaux, vu la situation tendue dans le Pays basque espagnol, les deux voitures ont été envoyées pour nous escorter jusqu'à notre entrée en Cantabrie. Finalement les policiers ont l’air sympa. Ils sortent une grande carte plastifiée et m’expliquent dans notre Esperanto de circonstance que la route que nous avons choisie paraît certes plus directe mais est très difficile, que cela soit au niveau de son l’état que des côtes abominables qui s’y succèdent. Nous convenons donc qu’ils nous guideront jusqu’à la sortie du Pays basque. Le fait d'avoir la police qui ouvre la route facilite l'utilisation de voies très fréquentées que normalement nous évitons.

Finalement tout notre groupe est ragaillardi, nous faisons les «kékés» avec notre escorte de huit policiers. En plus, à chaque intersection de stridents hurlements de sirènes retentissent dans le plus beau style "thriller US". Nous qui habituellement devons souvent de grè ou de force laisser la place aux autos devenons les maîtres du bitume. Je ne me lasse pas de regarder ces voitures devant stopper pour nous laisser passer et attendre derrière nous bloqués par la seconde voiture. En traversant notamment Bilbao… avec ce boucan les gens se mettent aux innombrables fenêtres et… sont surpris : au lieu de voir un fringant et important peloton ou quelque long cortège officiel ils découvrent un tout petit groupe de cyclistes roulant à vitesse « modérée » encadré par la police… Nous nous amusons de leur étonnement effectivement compréhensible.

Mais dans une autre ville plus petite nous découvrons des tracts froissés sur toute la rue centrale, des restes de banderoles qui pendent le long des murs. Devant certains bâtiments officiels sont même disposés des sacs de sable… «ça a du chauffer ici il n’y a pas longtemps» déclare Julien. La France commençait à collaborer avec l’Espagne pour la chasse aux clandestins indépendantistes, déclenchant la colère des soutiens de l’ETA. Nous réalisons que l’idée que nous pourrions effectivement avoir des problèmes n’était pas si farfelue qu’on pourrait le penser.

Des cyclos locaux s’entraînent ici ou là. Certains s’enhardissent, se laissent doubler par la première voiture de police et s’approchent de nous, poussés par la curiosité. On essaie de leur expliquer le truc et moitié pour nous aider moitié pour profiter des routes ouvertes par la police au bout d’un moment c’est un peloton compact qui est encadré par notre escorte. La plus grande partie est donc composée de cyclistes locaux. Bien plus frais que nous ils «envoient du bois» et nous entraînent dans leur sillage. Nous profitons de l’effet coupe-vent et sommes protégés «comme dans une petite maison» par deux rangées de vélos. Ils se positionnent ainsi pour nous aider, un moment vraiment sympa, voire émouvant. Un peu plus tard, devant cette cavalcade, encore une troisième voiture de police ! Cette fois-ci il s’agit d’un break R18 avec deux policiers porteurs d’un béret rouge, la police du tout nouveau Parlement basque… Ils viennent, apparemment, attirés par tout ce barouf, «renifler» ce qui se passe. Après un vague salut à notre escorte qui ne paraît pas spécialement cordial, ils disparaissent comme ils sont apparus. Le temps passe, petit à petit les cyclistes espagnols disparaissent, l’heure du dîner (pour les gens normaux) approche, nous continuons de rouler, encore et toujours. Notre escorte s’arrête soudain, nous les rejoignons, les remercions, ils ont l’air d’avoir étés amusés par leur mission, tous nous sourient. Pierre apporte plusieurs bouteilles de vin extraites de sa voiture. Les «hommes du rang» semble-t-il auraient bien accepté le cadeau, mais le gradé nous fait comprendre que "pour les remerciements d’accord mais cela suffit, pas de cadeau". Donc adieu notre escorte et bienvenue en Cantabrie.

L'arrivée à Colindres

Photo ci-contre, bouteille qui nous fut offerte en Espagne. Sur le côté caché de l'étiquette, en vis-à-vis de la mention verticale "le Haillan" il y avait bien sûr écrit "Colindres". Je l'ai conservée en souvenir. On remarquera que la date mentionnée sur l'étiquette est celle de la manifestation française de jumelage. Il s'agissait sans doute donc d'un "surplus", mais c'est le geste qui compte.

Là nous retrouvons de petites routes, pittoresques donc pentues, donc épuisantes. Mais tout de même comme on dit «on n’a jamais été aussi près de l’arrivée». Une montée, des virages, une descente raide, une nouvelle montée et ainsi de suite jusqu’à je pense la fin de notre voyage. Finalement, après bien des péripéties nous sommes en fin d’après-midi et là, depuis une énième hauteur nous aperçevons enfin Colindres en contrebas. Un beau panorama avec en arrière plan le bleu de l'océan. Nous nous arrêtons, tous les cyclos se mettent en position pour arriver en ayant la plus fière allure possible. Nous nous laissons glisser dans la descente et entrons dans les rues curieusement désertes, tournons un peu et tombons sur une place remplie de voitures, certaines françaises. «Ils doivent être là» nous découvrons une grande salle de sport toute neuve de laquelle sortent flons-flons, et applaudissements. Un de nos accompagnateurs auto entre et ressort accompagné de visages haillanais familiers. « Bravo à tous, vous arrivez au bon moment »… Les organisateurs décident de mettre en scène notre arrivée. Sur nos vélos nous allons faire le tour de la piste de la grande salle de sport.

Une annonce en espagnol, puis en français, on nous fait signe et notre petit peloton au complet pénètre dans le grand bâtiment bondé sous les applaudissements. Je reconnais « el jefe de la peña » (j’espère ne pas faire de faute dans ces termes espagnols mais je vais continer d’utiliser mon « Espéranto » de circonstance) que j’avais hébergé lors de la cérémonie en France. Il fend la foule me serre dans ses bras comme si j’avais gagné le Tour de France. Après le conflit avec la précédente municipalité haillanaise, le retour de l’ASH dans la vie municipale ne pouvait être mieux symbolisé que par ce moment. Tout le monde semblait avoir apprécié notre démarche. Un peu plus tard nos amis espagnols nous proposent d’aller prendre une douche. En plus il y en a un imposant bloc sanitaire au fond de cette immense salle. Pendant que les festivités continuent tout près nous entrons donc dans les vestiaires en essayant de ne pas faire de bruit. Nos hôtes nous ont prévenus en s’excusant : notre arrivée n’étant pas prévue l’eau des douches n’a pas eu le temps de chauffer… «aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaah» … et était donc froide, très froide. Un long cri de douleur vient de retentir, amplifié par la résonance de la salle. Julien vient d’affronter le jet d’une douche, la température de l’eau est effectivement polaire il ne peut retenir ce cri sinistre qui nous fait quasiment peur. Pierrre sort de son box précipitamment, à moitié déshabillé : « tu n’es pas fou de crier comme ça on t’entend dans la salle ! » Dans la foulée il finit de se dévêtir et entre à son tour sous une douche : «aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaah !!!» le cri de Pierrre est encore plus fort que celui de Julien ! Quelle rigolade ensuite...

A la fin de cette cérémonie nous avons juste le temps d’aller nous installer chez nos hôtes, je retrouve mon épouse et ma fille. Le couple sympathique que nous avions reçu au Haillan nous héberge donc à son tour. On m’avait expliqué que ce monsieur était « el jefe de la peña ». Un français me précisa qu’il s’agissait de la peña «de gauche» et qu’il y en a une autre «de droite»… Que l’on m’ait «mis» avec ce monsieur n’était peut-être pas le fruit du hasard… Les affinités supposées devaient être prises en compte pour de tels choix. Redevenus «civils» nous retournons dans la grande salle cette fois-ci pour un repas auquel nous étions déterminés à rendre honneur. Nos pertes de calories des heures précédentes étaient notre justification hypocrite pour la débauche calorique qui allait suivre.

Photo ci-contre, un plat inoubliable, en tout cas pour moi :
le
Cocido montañés...

Entre autres choses délicieuses je me souviens d’un plat "léger" nommé «Cocido montañés» dont j’ai abusé et abusé encore. Malgré notre «promenade» j’ai dû reprendre du poids sur le coup. Contrairement à la manifestation haillanaise tous les participants au service du repas étaient donc bénévoles. Malgré son économie à l’époque moins développée, Colindres, grâce à sa culture de la fête, son incroyable richesse associative, nous recevait mieux que nous l’avions fait malgré tous les efforts déployés. Pourtant au Haillan le maximum avait été organisé : grand chapiteau pour le repas et les réunions, serveurs, animations, presque tout en «payant», là était la différence fondamentale… Si des prestataires professionnels avaient dû fournir des services équivalents lors des festivités de Colindres, en supposant qu’ils en aient le savoir-faire, il aurait fallu investir une fortune. Pour exemple une des nombreuses serveuses était la fille de notre hôte, j’ai ainsi pu bénéficier de nombreuses tournées de «rab». Certains participants espagnols avaient apporté des bouteilles d’alcools divers planquées plus ou moins discrètement sous leurs pardessus. Elles sortaient maintenant de dessous la table, on s’en doute l’ambiance chauffa rapidement. Encore un bon moment mais la nuit avance, il fallut retourner se coucher, j’ai bien dormi…

Festivités / Imprécations cléricales

Nos hôtes nous avaient alloué leur chambre, la plus grande, la plus belle. Je me souviens qu’elle était décorée d’une multitude de petits bibelots. Au matin dans leur cuisine, nous découvrons une quantité impressionnante de viennoiseries délicieuses pour accompagner notre café. Impossible de tout consommer même si je suis gourmand. Nos hôtes voulaient vraiment nous faire plaisir. Ensuite ils nous emmènent à pieds vers le port de Colindres. Nous «visitons» plusieurs bars typiques. On sait qu’en Espagne les verres des débits de boissons sont copieusement remplis. Compter méticuleusement les centilitres comme en France, ce n’est pas le style. Des assiettes remplies de beignets de calamars complètent ces apéros presque «dinatoires». J’imagine que ce périple avait autant pour but de montrer les Français à leurs amis que de nous faire plaisir.

En milieu de matinée nous revenons aux manifestations du jumelage. La délégation française s’entasse sur les travées de l’église de Colindres. Des allocutions sont prononcées, bien entendu traduites par un interprète. Vu le lieu c’est notre prêtre, Jean-Baptiste (1) qui va faire un discours… Je vais essayer d’en reconstituer une partie… «(…) amis espagnols, en voyant tous ces haillanais serrés sur les bancs de votre belle église vous pourriez penser qu’il s’agit d’une commune parmi les plus pieuses. Détrompez-vous, (trémolos dans la voix dont le volume s’emballe) lors des offices au Haillan à mon grand désespoir il n’y a presque personne. Le matérialisme règne hélas sur cette population ! (…)» Nous fûmes on s'en doute très surpris, bien que connaissant Jean-Baptiste il avait tout de même comme on dit "fait fort". En tant que mécréant je reconnaissais en partie que j’aurais pu, comme le font certains purs et durs, refuser d’entrer dans l’église. Mais bon, c’était la fête, il s’agissait d’honorer nos amis espagnols. En tout cas l’anecdote en a amusé plus d’un, dont je faisais partie. Et ce n'était pas terminé.

Un peu plus tard, lors d’une inauguration, c’est notre maire, Georges Ricard qui prend la parole. Je m’en doutais, après quelques propos liminaires ça n’a pas traîné… «(…) chers amis, certain(s) nous qualifient de matérialistes mais ils oublient que…» et là M Ricard énumère les nombreuses actions caritatives, solidaires et conviviales de la commune et de ses associations. Nul doute que son discours initial, après le «sermon» de Jean-Baptiste a été rapidement adapté ! Ces scènes à la Don Camillo je m’en amuse encore en les évoquant, elles ont donné une dimension bien moin guindée à ces moments festifs. Finalement, surtout après hélas la disparition des deux protagonistes, elles donnent un côté sympathique et "vivant" de leur personnalité, c'est en tout cas ce que je ressens en écrivant ces lignes.

Mais il ne faut pas croire que seuls les français jouaient à Fernandel/Gino Cervi ce jour-là. J’ai déjà décrites les deux peñas de Colindres paraît-il idéologi-quement antagonistes… A moment donné elles se sont mises à jouer ensemble, de plus en plus fort, l’une cherchant à couvrir le son de l’autre et vice-versa, cela devenait "chaud"… Plusieurs membres du comité espagnol de jumelage précipitamment ont été chuchoter quelques mots mystérieux à l'oreille des deux chefs d’orchestre et aussitôt tout rentra dans l’ordre si j’ose écrire, "protocolaire".

Il y eut également un autre repas resté dans mes souvenirs. Sur le coup de midi nous voyons arriver un gros tracteur qui tire une étrange remorque. Il s’agit d’une énorme poële dont la patine témoignait d’un usage fréquent… Une nuée encore et toujours de bénévoles s’affaire autour, une méga paëlla est en préparation ! Oui, il faut le reconnaître, nos amis espagnols nous ont épatés par la qualité, l’originalité et la chaleur de leur réception.

Colindres, c’est le pays des anchois. Nous sommes invités à une sortie en mer dans un de ces beaux bateaux de pêche en bois qui ne vont pas tarder à disparaître hélas. Alors que nous profitions du paysage notre guide nous montra une falaise carrément dynamitée pour y «emboîter» un hôtel avec vue imprenable sur l’océan. L’écologie était loin d’avoir droit de cité dans le système économique de l’après-franquisme… Pour en revenir aux anchois au retour en passant par le port nous voulons en acheter quelques boîtes. Nos hôtes, voyant cela nous font «non non» de la main. Arrivés chez eux ils appellent un jeune en lui chuchotant à l’oreille de mystérieuses consignes… Un peu plus tard il réapparait avec un lot de boîtes avec un graphisme particulier pour l’exportation aux USA. C’était le top du top au niveau qualité, donc réservé aux américains… Nous avons bien sûr remercié, c'était vraiment délicieux, en plus ces anchois avaient le goût de l’amitié…

Et puis il y eut le retour, cette fois-ci en bus avec le reste de la délégation. Confortablement installés nous avons pu de nouveau, cette fois-ci sans effort notable, profiter du paysage en compagnie de nos familles et de la délégation haillanaise, mais cette fois-ci à l’envers…

C’était le 17 mars 1991, il y a près de 31 ans maintenant…

Serge Galès

Le Haillan, le 24 février 2022


1. Je pense que tous les anciens haillanais se rappellent de ce prêtre on peut écrire hors-normes. Il affectait des idées ultra progressistes, pacifistes et avait aussi une vision très « novatrice » du célibat des prêtres. De nombreuses anecdotes à ce sujet circulaient au Haillan. Je ne les évoquerai pas, Jean-Baptiste est maintenant décédé. En revanche une anecdote connue par nombre de haillanais illustre son pacifisme. Le 17 janvier 1991 (trois mois juste avant notre voyage à Colindres) au petit matin la presse informe le monde inquiet du début de la pemière guerre dite du Golfe. L'Irak affronte une gigantesque coalition militaire internationale, tout le monde écoute radios et télés. Soudain, au Haillan : « Bong... Bong... Bong... etc. » depuis le clocher de Notre-Dame de la Merci le glas sinistre retentit interminablement. Jean-Baptiste souhaitait manifester ainsi son opposition à cette guerre. La rumeur haillanaise dit que certains de ses fidèles étaient loin de partager sa vision pacifiste pourtant en parfaite concordance avec la religion catholique et lui avaient fait part de leur mécontentement au sujet de ce glas intempestif (pour eux).

Un autre fois, nous rencontrons Jean-Baptiste à huit heures du matin près de l’église lors de notre rendez-vous cycliste du dimanche matin. Il était très sympa et la discussion dérive vers le « blocage » de Jean-Paul II sur les questions d’avortement (j’avoue avoir perfidement orienté la discussion sur ce sujet…) Il qualifie alors le souverain pontife d’un terme vraiment cru qui fit dire à une copine du groupe cyclo « monsieur le curé je ne me permettrais pas de qualifier ainsi le Pape ». « Et bien moi j’ose ! » cria alors notre Jean-Baptiste.