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1964... cela fait une paie comme on dit... Sur le vieux pont de Bergerac, comme tous les jours, je rentre du bahut à vélo avec mon pote Alain. Monotonie de la vie scolaire, aller manger à midi à la maison, on ne réalisait même pas notre chance. On ne risquait pas de casser nos chaînes de vélo vu notre rapidité... La Dordogne en dessous de nous, on ne la regrettera que beaucoup plus tard (“on ne devrait jamais quitter Bergerac”)... Pour l’instant elle ne constituait pour nous qu’un banal décor. Aussi ce jour-là, arrêtés au milieu du pont, indifférents aux klaxons des « vieux » en Pigeot 403, nous fixons un point devant la clinique “La Terrasse”. Surprenant, une grosse péniche avance vaillamment et se dirige vers le quai tout proche où elle va s’amarrer provisoirement. Jamais vu rien de plus gros sur la rivière que ces vieilles barques en bois des pêcheurs ou les “grands huit” pointus comme des suppositoires du club d’aviron ! Alors une péniche...

Je me suis toujours demandé comment “ils” étaient arrivés, depuis Libourne, à franchir un certain nombre d’écluses en ruine et autres difficultés d’un cours d’eau depuis très longiemps abandonné par la navigation fluviale... Ils ont dû “s’amuser”...

Le dimanche suivant, des bergeracois en promenade (digestive) observaient cette embarcation avec curiosité. Elle s’amarra définitivement en contrebas de la rue Garrigat avant le futur pont “Louis Pimont”.

“Ils vont en faire un restaurant flottant” telle était l’explication véhiculée par “radio Bergerac”, (la rumeur de chaque petite ville du Sud qui se respecte). Donc pour nous à l’époque “restaurant” = aucun intérêt (on a changé depuis). On regardait tout de même, en passant devant, notamment pour nous rendre à pied à la piscine Neptuna un peu plus loin, les ouvriers qui s’affairaient sur ce grand machin dont la présence immobile commençait à entrer dans les habitudes. Ils se mirent à rehausser la coque d’éléments en bois assez légers. L’ensemble finit par ressembler à une sorte de galion kitsch que les futurs parcs d’attraction allaient immortaliser. La couleur “marron-bois” rendait tout de même l’ensemble finalement assez réussi, du moins à nos yeux de l’époque.

En fait on apprit qu’il s’agissait d’une boîte de nuit. Pas question pour moi, à l’époque de mes treize ans d’imaginer aller y faire un tour d’autant qu’elle avait déjà “mauvaise réputation”. Ce n’est que vers l’an de grâce 66 que je commençai à m’y intéresser. Un de mes copains m’indiqua “qu’il y avait une sono terrible” et “qu’ils ne passaient que de la pop” et enfin “qu’il y avait plein de nanas”... Autant d’arguments ! Un dimanche après-midi je m’y suis timidement risqué. J’avais mis un “fut” moulant patte-d’eph et une veste cintrée, de grosses pompes en cuir à bouts ronds. C’était le minimum pour aller dans un tel lieu sans se sentir ringard... Bien entendu le cheveu devait être long mais, inspiration “mod” oblige, sculpté avec soin au rasoir. Le budget fringues devenait très important. Je réussit notamment plus tard à me payer une veste en velours “frappé” jaune miel.. Ce tissu utilisé auparavant dans l’ameublement donnait une impression brillante, style “Moody Blues”... Vous voyez la discrétion et le bon goût on dirait maintenant que “ça déchirait”. A l’époque on me disait “ta veste, elle est démente”... La grande classe. Le problème était le prix de genre de vêtement, à la diffusion confidentielle. Je me le procurai dans une petite boutique branchée de Bergerac à prix d’or (en tout cas pour moi)...

Des stromboscopes, maintenant c’est banal. A l’époque on découvrait ça à la Péniche. Cela changeait des boules à facettes des bals ! Cet effet “saccadé” qu’ils créaient nous trouvions ça super !

Effectivement ça changeait du “guinchou” de Saussignac ! De gros baffles grondants diffusaient du rnb, de la pop, beaucoup d’artistes qu’on ne connaissait que de nom car bannis par les très conventionnelles radios et télés sixties... ça dépotait grave question décibels... l’eau de la rivière le soir portait ce son aux confins des bords de Dordogne. Rien à voir avec l’accordéon musette ! “Monsieur le maire, vous entendez, c’est du rock-and-roll ! “ La fumée des clopes, cigares et autres... était omni présente. Une minuscule piste était bordée de banquettes capitonnées rouges. Quelques tables en bois minuscules, un grand comptoir au fond. L’escalier, plutôt l’échelle d’accès car il avait des marches ajourées ajoutait à l’ambiance “navale”. Une table, très convoitée, située juste dessous permettait d’assister à l’arrivée des filles en mini-jupes...

ça frimait grave, les gars autant, voire pire que les filles ! Il y avait pas mal de jeunes mais aussi des “vieux” venus s’encanailler... Le gaillard avant, du moins ce qui y ressemblait, constituait une alcôve séparée de la piste par un passage un peu resserré... Bordée de coussins, un filet “de pêche” en guise de porte, un coin pour rester “tranquilles” en couple, voire pour “pioncer”, mais généreusement sonorisé lui aussi.

C’était assez esthétique dans mes souvenirs. Surtout grâce aux parois en bois épais. La forme caractéristique de la vieille coque donnait un charme certain, surtout dans un coin où la navigation depuis belle lurette se faisait, comme je l’ai évoqué, sur des embarcations bien plus confidentielles question volume.

Donc la musique était gérée par un “disquaire” retranché au milieu d’une sorte de box en bois fermé à la hauteur de sa console... Deux platines pour synchroniser les enchaînements, plein de vinyles éparpillés et vogue la péniche ! Certes souvent on entendait du r’n’b, musique syncopée, avec de fortes basses qui permettait de se trémousser. Le Jerk s’y dansait finalement assez “calmement” à l’image des habitués qui évoluaient lentement, généralement "posés" sur les coussins... Suivant l’heure des musiques carrément psychédéliques, voire expérimentales étaient diffusées, quasi uniquement de l’anglo-saxon, des nouveaux trucs qui sortaient à la chaîne à l’époque. La péniche ouvrait en début d’après-midi en ne fermait qu’à l’aube... Elle avait donc un rôle également de bar-musical l’après-midi.

Les morceaux restés dans mes souvenirs sont nombreux parmi ceux-ci : “Born to be wild” version Wilson Pickett, “She’ looking good” du même W Pickett, “Wake up” des Chamber Brothers, “Sunshine red wine” du Crazy elephant, “Big Bird” d’Eddie Floyd, “John Lee Hooker” de Johnny Rivers, “Proud Mary” et “Suzy Q” de Creedence Clearwater Revival, “Love me two times” des Doors etc etc...

Pour nous, la motivation essentielle pour aller à la péniche c’était la musique. Pour draguer, plus facile d’aller dans les “baloches” traditionnels... Toutes ces grosses poutres en bois devaient améliorer le son, on était en quelque sorte nous-mêmes à l’intérieur d’un énorme baffle ! La petite piste était facilement pleine de danseurs et si la musique s’emballait, on pouvait observer un balancement de la péniche... Ce qui amenait parfois des commentaires pas très “gentlemen” relativement pour exemple à deux filles « un peu fortes » d’un non moins gros commerçant de la ville... Devançant la future chanson de Sheila, à elles seules “elles faisaient tanguer le bateau” !

Mais la norme question look mod était les silhouettes longilignes. Mini-pulls au dessus de la ceinture, pour les gars comme les filles, laissant apparaître la peau nue... Suivant les périodes pantalons “prince de Galles”, ou en tissu uni, avec deux petites pattes à gauche et à droite dans le dos, juste sous la ceinture... Chemises ultra cintrées avec plein de pinces, idem pour les vestes et blazers...

Préfigurant 68 on parlait beaucoup, visage contre visage vu le bruit et pas toujours de choses futiles. Lors des “événements” on est venus force fois, boire un Gin fizz entre une manif et une réunion dans notre bahut, à la bourse du travail... “On” roulait en mini Cooper, Austin, éventuellement coupé Simca 1300, R8 “Gord” ou alors, comme votre serviteur qui heureusement n’habitait pas loin, “on” venait à pied... Pas question de casser son image par un véhicule trop banal genre “demi-course” Pigeot...

En fait la péniche originelle se nommait le “Pourquoi-pas”... Le promoteur l’avait rebaptisée, vu le design “Le Galion”. Période sixties oblige, c’est nous les djeuns qui lui avons donné son vrai nom d’usage “La péniche” ! Même avec deux petits canons « genre bronze » ajoutés sur le pont, un galion on l’imaginait tout de même différent !

Le gérant offrait l’aspect du frimeur classique des films policiers dans le genre de ceux que commettait Delon à l’époque. La quarantaine, sapes assez classe, petit bolide en plastique SOVAM et enfin ultra-bas coupé Lotus-Europe... Un jour, laissant sa copine, il disparut certains prétendaient avec la caisse (de la Péniche) en plus de la sienne caisse (Lotus)..

En fait la coque était amarrée à une petite île, probablement pour des raisons de tirant d’eau. Donc pour y accéder une première passerelle sur bidons flottants devait être utilisée. Une seconde de l’autre côté amenait à la porte perçant la coque. Vissée sur le bois à côté de la dite entrée l’incontournable plaque “Licence IV”... ça faisait bizarre, on retrouve un peu cet aspect curieux sur les boîtes flottantes actuelles à Bordeaux aux bassins à flots. Donc cet accès au dessus de l’eau généra, en fonction de l’alcoolisation de certains, des bagarres d’autres allumés, des “splash” dans l’eau vaseuse, comme vous l’imaginez ! Pas bon pour les fringues à coût élevé ! Une petite barque à rames amarrée à côté, par sa présence rappelait cet aspect aquatique et les risques liés à sa prise à la légère.

Une autre “boîte-péniche” existait à Castillon d’ailleurs appartenant au même proprio me semble-t-il. En revanche, peut-être vu l’expérience de Bergerac cette péniche-là est restée dans son état initial au niveau de la déco extérieure. La proximité de Bordeaux devait la rentabiliser. Il faut savoir que la “renommée” du Galion bergeracois amenait des visiteurs de Bordeaux (100 bornes à faire...) et de nombreux autre coins éloignés...

Je me souviens d’après-midi ultra chauds et ensoleillés passés à fond de cale avec mes copains... Cette société qui nous emballait modérément, symboliquement on la quittait en mettant nos pieds sur les passerelles de la Péniche... Mais il a finalement fallu tous qu’on se résigne à entrer dans la vie dite active... On s’est séparés d’un bout à l’autre de la région, de la France, le “sévice” militaire...perdus de vue... du boulot pour “Copains d’avant”...

En plus, en terme de conclusion, un jour de 1970, en Isère le “Cinq-Sept”... Cette autre boîte de nuit a brûlé, l’horreur, presque 150 morts... Les pouvoirs publics subitement réalisèrent les dangers liés à ce genre d’établissement... La sacro-sainte “Liberté d’entreprise” du Gaullisme triomphant découvrait ses limites... Et la Péniche, toute en bois, sans aérations, son étroit escalier d’accès... Une peur rétrospective me fait maintenant réaliser qu’on n’était pas au top question sécurité.

En plus, en terme de conclusion, un jour de 1970, en Isère le “Cinq-Sept”... Cette autre boîte de nuit a brûlé, l’horreur, presque 150 morts... Les pouvoirs publics subitement réalisèrent les dangers liés à ce genre d’établissement... La sacro-sainte “Liberté d’entreprise” du Gaullisme triomphant découvrait ses limites... Et la Péniche, toute en bois, sans aérations, son étroit escalier d’accès... Une peur rétrospective me fait maintenant réaliser qu’on n’était pas au top au niveau sécurité. Bref le Conseil municipal ferma définitivement “notre” Péniche... Sept ans plus tard, de plus en plus dégradée, elle fut définitivement détruite...

Depuis des lustres, chaque fois que je passe dans le coin, comme beaucoup d’autres je suppose, une grande tristesse en observant ce lieu, où la nature a repris ses droits... Comme si ces moments gravés dans nos souvenirs n’étaient que le fruit de notre imagination. Ce bateau surgi d’on ne sait où on n’arrive même pas à en trouver des photographies... Comme si ce passé jugé pas assez valorisant pour l’image de la petite ville était gommé des mémoires. A-t-elle vraiment existé notre Péniche... Cela a passé si vite... La vieille Dordogne, qui en a vu d’autres depuis des siècles et des siècles, impassible continue de couler.




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